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Après que des querelles intestines l’eurent contraint de raccrocher la robe de procureur près le « tribunal des flagrants délires » de France-Inter,Pierre Desproges fut visité par Guy Bedos, lequel, parlant à sa personne, déclara : « À bas les intermédiaires qui nous tuent. Si tu veux continuer ce métier, fais donc de la scène : il n’y aura que le public pour te casser les pieds. » Pénétré par la vérité de ces simples paroles, et toujours soutenu par son fraternel camarade, Desproges prit le chemin de sa table de travail, puis de diverses villes provinciales, dont Sedan, où il fit essuyer les plâtres de son nouveau talent par les naturels du lieu. ( ????? )
Encouragé par leur enthousiasme, le voilà au théâtre Fontaine, dans un décor d’une riche sobriété, une mise en scène d’une grande retenue et un costume d’une aimable décence. Seuls les rires du public manquent de discrétion.
Né natif de bourgueil, Pierre Desproges ne met pas d’eau dans son vin. Qu’il parle d’Yves Montand, du cancer, des prouesses érotiques de l’homme postmoderne, des coiffeurs, des embrassades des gens du spectacle, d’Aragon, qui fut éteint bien avant d’être feu, ou des artistes provisoirement sans travail parce que provisoirement sans talent, Desproges ne respecte que la grammaire. Et encore !
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S’il traite bien la syntaxe, la morphologie lui inspire des distorsions de mots très tordues, des accouplements d’idées trèsmonstrueux et des alternatives très difficiles, comme choisir entre la gauche et Mitterrand.
Cette première apparition sur les planches n’est pas sans défauts, ceux du néophyte qui craint de s’éloigner de son texte et donne parfois l’impression de raideur, un rythme un peu relâché et une tendance à se rassurer en imitant les attitudes scéniques de Guy Bedos : la même manière de parcourir le plateau et, souvent, les mêmes gestes. On n’en assiste pas moins à la confirmation d’un comique du quatrième type, les trois autres étant Devos, Bedos et Coluche.
La meilleure de Desproges, le fil d’Ariane le long duquel il pourrait devenir Lenny Bruce à la française, tient à sa précision dans une inégalable férocité. Parfois, il paraît vouloir qu’on lui pardonne cette attitude, pourtant rare et précieuse. Il aurait tort : l’ex-procureur est cruel et, comme il fut journaliste à la bonne école, il alimente constamment son amour alcestueux de l’humanité par les informations les plus fraîches sur nos travers les plus modernes.
Philippe Meyer
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Le quotidien de Paris
20 Janvier 1984
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Le père provoc.
Prenons une famille d’extrême droite. C’est Dimanche. Tout à coup, au-dessus de la charlotte au cassis, le fils lance : « Bon c’est pas tout ça, mais il faut que je vous dise : je me suis inscrit au Parti communiste. Allez, tchao, j’ai réunion de cellule dans 20 mn. » Il sort sous les regards apoplectiques de l’assemblée et refait immédiatement irruption dans la salle à manger : Meu non, c’était pour rire !!! »
C’est ce genre d’électrochocs gamins que sert tous les soirs à 20h15 Pierre Desproges au théâtre Fontaine. Veste blanche, chemise grise, micro-cravate, rien dans les mains, et dans la poche un trombone sur l’inutilité duquel il daube pendant cinq bonnes minutes, l’auteur de « Vivons heureux en attendant la mort » ressemble à un enfant malin, mal élevé, insolent et heureux de vivre. Jusqu’où vais-je bien pouvoir aller, semble-t-il se dire en nous gratifiant d’emblée d’un sourire de renard. Avec l’air faux-cul qu’avait, au lycée, le prof de maths, juste avant de nous flanquer une interro surprise (l’immonde « prenez une feuille…»). Desproges commence à combattre par escarmouches. Il se préfère à son prochain, redoute l’âge mûr qui précède l’âge pourri… Personne n’y trouve à redire. On glousse abondamment dans les travées. Alors, Desproges embraye la seconde. Le cancer, les métastases, la vilaine et hideuse maladie.
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Il scrute l’œil en biais , sourit à moitié rit franchement en tournant le dos au public qui se tord-boyaute de plus belle. « Dites, vous rigolez, mais c’est pas évident d’imiter l’accent cancéreux ! » Et il l’imite !et le public acclame. Allez, zou, en troisième. Le voici lancé dans les mérites comparés de la résistance et de la collaboration. « Dans la collaboration, il fallait dénoncer les juifs… Bon, mais dans la résistance, il fallait rire avec… Et puis, Himmler, on dira ce qu’on voudra, mais c’était un homme capable d’une grande concentration ! » Vingt-cinq rangées de fauteuils tressautent sous l’effet des zygomatiques affolés. Pour se reposer, Desproges met l’overdrive. Iglésias, Louis Leprince Ringuet, Patrick Sabatier, Jean Daniel défilent au garde à vous sous une haie de rires.
À bout d’arguments (mais est-ce possible ?), se demandant bien ce qui va pouvoir faire craquer le premier lanceur de tomates pourries, Desproges fait un détour du côté des régionalistes, fustige les santons de Provence, évoque l’inappétence sexuelle de la petite Grimaldi et finit par parler de cul, du cul, des culs des spectateurs et particulièrement de celui des spectatrices. Mais là encore, la foule se gondole, en redemande. Lorsque le noir final se fait, on est bien forcés de se rendre à l’évidence : ou bien nous sommes des veaux, ou bien ce personnage a un sacré talent…
Valérie LEJEUNE
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